Le Diable tout le Temps, de Donald RAY POLLOCK
De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 60, les destins de plusieurs personnages se mêlent et s'entrechoquent. Willard Russell, qui a combattu dans le Pacifique, est toujours tourmenté par ce qu'il a vécu là-bas. Il est prêt à tout pour sauver sa femme Charlotte, gravement malade, même s'il doit pour cela ne rien épargner à son fils Arvin...
Carl et Sandy Henderson forment un couple étrange qui écume les routes et prend de jeunes auto-stoppeurs qui connaîtront un sort funeste
Roy, un prédicateur convaincu qu'il a le pouvoir de réveiller les morts, et son acolyte Theodore, un musicien en fauteuil roulant, vont de ville en ville, fuyant la loi et leur passé.
Sur la blogosphère, les éloges fusaient et comme on le dit souvent, « il n’y a pas de fumée sans feu » ; aucun doute en ce qui me concerne, ce roman est clairement une grande réussite !
Comme son titre l’indique, la toile de fond de cette histoire est la religion… viscéralement ancrée dans le récit, poussée à l’extrême dans la pratique et la dévotion des personnages… qu’elle soit bienfaisante ou plus souvent malveillante d’ailleurs, la religion est un personnage à part entière de cette histoire triste et glauque ; aucune place à l’optimisme, tous les protagonistes de cette histoire semblent condamnés, même ceux qui essaient de se démarquer et de maintenir une indépendance vis à vis de la religion.
Plusieurs histoires se déroulent en parallèle, se croisent et s’entrecroisent. Les personnages évoluent dans l’Amérique profonde de l’après seconde guerre mondiale. Alors que l’on s’attendrait à l’évocation d’une Amérique victorieuse, c’est une Amérique crasseuse et désenchantée qui nous est dépeinte. Dans un contexte économique difficile des zones rurales, c’est un panel de personnages, pour la plupart, amoraux qui nous est offert : une belle brochette de tarés au comportement sauvage, guidés par leurs instincts et un mysticisme destructeur. Des personnages sans nuances et surtout sans état d’âme, rongés par une folie et une violence ordinaire qui n’est que le résultat de leur piètre condition : absence d’éducation (si ce n’est leur éducation religieuse), des femmes esclaves des hommes sans conscience et sans espoir, une vie sans attente et sans illusion, autant de faiblesses qui laissent la place à l’omnipotence des croyances religieuses et des prêcheurs.
A lire ainsi, cela soulève sûrement quelques répulsions auprès de certains d’entre vous, pas forcément amateurs de ce genre de lecture. Pourtant, l’auteur nous offre une histoire des plus terrifiantes dans un style poétique, presque lyrique. Sa prose lumineuse, incisive et réaliste nous met face à la nature humaine dans tout ce qu’elle a de plus ordinairement cruel… Ce qui est fascinant (et un peu dérangeant en ce qui me concerne !) c’est que l’auteur parvient à rendre tous ces paumés sympathiques en ne restant pas que sur les codes de la noirceur et du glauque. Quelle habileté !
Bref, ce roman est un bijou qu’il serait trop hâtif et restrictif de cantonner à la sphère thriller… il est bien plus !