Notre-Dame du Nil, de Scholastique MUKASONGA
Résumé :
Au Rwanda, un lycée de jeunes filles perché sur la crête Congo-Nil, à 2 500 mètres d'altitude, près des sources du grand fleuve égyptien. Les familles espèrent que dans ce havre religieusement baptisé Notre-Dame du Nil, isolé, d'accès difficile, loin des tentations de la capitale, leurs filles parviendront vierges au mariage négocié pour elles dans l'intérêt du lignage. Les transgressions menacent au cœur de cette puissante et belle nature où par ailleurs un rigoureux quota « ethnique » limite à 10 % le nombre des élèves tutsi.
Sur le même sommet montagneux, dans une plantation à demi abandonnée, un « vieux Blanc », peintre et anthropologue excentrique, assure que les Tutsi descendent des pharaons noirs de Méroé. Avec passion, il peint à fresque les lycéennes dont les traits rappellent ceux de la déesse Isis et d'insoumises reines Candace sculptées sur les stèles, au bord du Nil, il y a trois millénaires. Non sans risques pour sa jeune vie, et pour bien d'autres filles du lycée, la déesse est intronisée dans le temple qu'il a bâti pour elle.
Le huis clos où doivent vivre ces lycéennes bientôt encerclées par les nervis du pouvoir hutu, les amitiés, les désirs et les haines qui traversent ces vies en fleur, les luttes politiques, les complots, les incitations aux meurtres raciaux, les persécutions sournoises puis ouvertes, les rêves et les désillusions, les espoirs de survie, c'est, dans ce microcosme existentiel, un prélude exemplaire au génocide rwandais, fascinant de vérité, d'une écriture directe et sans faille.
Mon Avis
Sans qu’une situation temporelle ne soit clairement donnée (mais apparemment on est dans les années 70), ce roman aborde le sujet grave et douloureux de la rivalité qui oppose depuis longtemps les clans Hutu et Tutsi du Rwanda. Au travers du microcosme qu’est le lycée Notre Dame du Nil - lycée pour jeunes rwandaises de bonnes familles-, l’auteure revient sur les fondements de cette haine viscérale entre les deux peuples, prémices des terribles événements de 1994.
Entre légèreté adolescente, traditions africaines et endoctrinement politique, ce sont des portraits tranchés qui nous sont présentés : la terrible Gloriosa, à la fois cruelle et victime de l’asservissement mental de son père et de la propagande, Véronica et Virginia, les « déesses » tutsis avec leur naïveté, leurs idéaux et leur courage, Immaculée, jeune Hutu toute en nuance et en réserve face à ses compatriotes, et les religieux qui ne cesseront de se voiler la face dans le souci de ne surtout pas faire de vague et de collaborer avec le plus offrant… Tout ceci sur fond de décolonisation et de prise de souveraineté...
J’ai lu par ailleurs que la réalité historique était quelque peu approximative dans ce roman ; je n’ai pas assez de connaissance pour en attester alors je reste sur l’idée du roman fiction, même si j’ai parfois trouvé l’esprit un peu manichéen avec d’un côté, les gentils Tutsis et de l’autre, les méchants Hutus. Je pense que la réalité était, et est toujours bien plus complexe, mais encore une fois, je ne suis pas spécialiste.
Quoi qu’il en soit, les émotions du lecteur sont mises à l’épreuve tant la montée en puissance des événements locaux, et nationaux, s’intensifie au fil du récit. La narration très fluide de l’auteure, qui alterne récit autour de la vie contemporaine et les légendes et croyances d’Afrique, permet une belle évasion vers une culture et une société totalement méconnue en ce qui me concerne. Une très belle et intéressante lecture.